Il existe des batailles n’ayant eu aucune conséquence, des batailles avec de petites conséquences et d’autres avec d’immenses conséquences.
La bataille de Marchfeld en 1278 (ou de Dürnkrut à ne pas confondre avec la bataille de Dunkerque) opposant le Saint Empire au Royaume de Bohème fait partie de cette dernière catégorie et peut même être considérée comme l’une des batailles les plus importantes du Moyen Âge européen.
I - Situation chaotique et prise de contrôle bohémienne
Depuis 976, le margraviat puis duché d’Autriche est gouverné par la Maison de Babenberg. Mais en 1246, Frédéric II le Batailleur et dernier héritier mâle de la dynastie meurt lors d’un combat contre les hongrois.
C’est alors normalement à l’Empereur du Saint Empire Romain Germanique (SERG) de décider du sort du territoire. Mais le « Privilegium Minus » de 1156, considéré comme l’acte fondateur de l’Autriche, permet de transmettre le titre aux femmes et donc à la nièce de Frédéric. Gertrude se marie ainsi avec Vladislav III de Moravie qui décédera malheureusement début 1247.
Elle épouse alors Hermann IV de Bade en 1248. Mais les deux moururent en 1250. Le choix finit donc par revenir à l’Empereur.
Cependant, en 1250 a commencé le Grand Interrègne dans l’Empire. Cette période débute par la destitution en 1245 de l’Empereur Frédéric II de Hohenstaufen (rien à voir avec Frédéric II de Babenberg) par le pape Innocent IV. La mort de Frédéric en 1250 laisse alors une vacance du pouvoir pendant 23 ans, durée pendant laquelle les candidats papaux et ceux germaniques s’affrontent pour le titre suprême. Le problème autrichien est donc loin d’être la priorité.
Profitant de ce vide du pouvoir, Ottokar Premsyl, le margrave de Moravie, s’empare du duché d’Autriche le 12 décembre 1251. Devenant roi de Bohème en 1253 et conquérant le duché de Carinthie en 1269, il est alors l’un des souverains les plus puissants de l’époque.
Mais en 1273, le Grand Interrègne prend fin.
La diète d’Empire (institution du SERG chargée de trouver une solution aux différents entre membre de l’Empire et devant élire le nouvel Empereur) élit Rodolphe de Habsbourg (image de son gisant à droite), comte de Habsbourg et modeste prince qui avait pourtant gagné un peu d’influence dans le sud de la Germanie. Les princes allemands le choisirent face à Ottokar pour éviter d’avoir un seigneur trop puissant à la tête de l’Empire.
Rodolphe refuse de faire le « voyage à Rome » pour se faire couronner Empereur (restant donc seulement « Roi des Romains ») et préfère restaurer l’ordre dans l’Empire en récupérant les territoires illégalement occupés, dont l’Autriche et la Carinthie.
II - Rodolphe contre Ottokar, Germanie VS Bohème
Auprès des princes allemands, Rodolphe avait promit de reconquérir l’ensemble des terres d’Empire. Il proclame ainsi que les duchés d’Autriche et de Carinthie doivent revenir à l’Empire et convoque Ottokar à la Diète en 1275.
Celui-ci refuse à 3 reprises la convocation. Il est alors mis au ban de l’Empire et tous ses droits territoriaux sont annulés (que ce soit ceux sur l’Autriche mais également ceux sur la Bohème).
Rodolphe se prépare donc à la guerre et rassemble ses alliés. Il noue ainsi une alliance avec Henri XIII, le duc de Bavière, et avec Ladislas IV, roi de Hongrie qui espère profiter de l’occasion pour régler les différents qu’il a eu avec le souverain bohémien ces dernières années.
En 1276, Rodolphe et ses alliés avancent, prennent Klosterneuburg et arrivent devant la résidence d’Ottokar à Vienne où ils mettent le siège le 18 octobre 1276.
Au pied du mur et constatant qu’il n’a plus le choix, Ottokar se met à négocier et signe la paix le 26 novembre. Il garde son titre de Roi de Bohème et de margrave (ou marquis) de Moravie mais doit lâcher le reste tandis que des mariages liant les deux familles sont prévus.
Si ce traité convient très bien à Rodolphe, les Habsbourg adorant le compromis, ce n’est pas le cas d’Ottokar qui vie comme une humiliation la perte de l’ancien territoire des Babenberg et la réduction de sa puissance.
De retour en Bohème, il chercha alors des alliés pour reprendre par les armes ce dont le « petit comte » l’avait privé. Il eut ainsi le soutien du margrave de Brandebourg, du duc de Glogow et du duc de Bavière qui retourna alors sa veste et entra en révolte contre l’Empereur.
En juillet 1278, il envahit alors l’Autriche et se dirigea vers Drosendorf. Rodolphe quitta alors Vienne pour aller à la rencontre de son ennemi à un endroit où la cavalerie hongroise pourra manœuvrer.
Pendant qu’Ottokar prend Drosendorf, Rodolphe s’installe dans une plaine près des villages de Dürnkrut et de Marchfeld.
Le matin du 26 août 1278, les deux armées se font face et engagent toutes leurs forces dans un long bras de fer.
Mieux protégées et aguerries, les troupes bohémiennes prennent peu à peu le dessus et Rodolphe voit même son cheval être tué avant de parvenir à rejoindre de justesse ses hommes.
Au bout de 3 heures, les bohémiens sont épuisés à cause de leurs lourdes armures et démoralisés par les attaques des archers montés hongrois mais ils tiennent bon et ils ont encore le dessus.
Le Habsbourgeois sort alors sa dernière carte. A midi, 60 chevaliers sortent d’un bois sur les arrières bohémiens et les chargent dans le dos. Si cette ruse est jugée peu honorable à l’époque, elle fait définitivement penchée la balance en faveur de l’Empereur.
L’armée bohémienne part en déroute et son camp est pillé.
III - Une bataille aux grandes conséquences
La bataille de Marchfeld est une une grande victoire pour le SERG et une lourde défaite pour la Bohème qui y perd son roi. Ottokar II est en effet retrouvé mort sur le champ de bataille où il aurait reçu un coup de poignard d’un noble cherchant vengeance pour ses parents exécutés par le souverain.
Le défaite bohémienne n’entraîne pas de sanctions particulières de la part de Rodolphe qui souhaite juste le respect du traité signé en 1276. Ainsi il accepte que la veuve d’Ottokar assure la régence jusqu’au couronnement de son fils Venceslas II.
Il assure par contre sa mainmise sur l’ancien territoire des Babenberg qui deviennent alors les territoires héréditaires des Habsbourg jusqu’en 1918 et la chute de l’Empire Austro-hongrois dans le fracas de la Première Guerre Mondiale.
Le 17 décembre 1282, il fait donc de ses fils les nouveaux ducs d’Autriche et de Styrie.
Cette bataille marque l’effondrement du rêve d’un grand royaume slave et la nation tchèque sera alors cantonnée à la Bohème et la Moravie.
L’Autriche de son côté reste allemande et devient le départ de la fortune et de la puissance habsbourgeoise en Europe.
A partir de la bataille de Marchfeld, la Maison de Habsbourg devint la Maison d’Autriche, maison promise à un destin européen et mondial exceptionnel.
Une maison qui régnera sur l’Autriche, la Bohème, le duché de Luxembourg, la Croatie, la Hongrie, la Germanie, le SERG, le comté de Bourgogne, le duché de Brabant, les Espagnes et les Indes, le Royaume de Naples et celui de Sicile, le duché de Milan, le Portugal, la Transylvanie ainsi que les duchés de Parme et de Plaisance.